Le récit technique de la Formule E tourne beaucoup autour des caractéristiques des six groupes motopropulseurs présents, qui diffèrent par la philosophie du moteur, la géométrie de la suspension, le rapport de démultiplication et la répartition du poids. Cependant, une fois que les constructeurs de moteurs ont livré leurs packages aux équipes, c’est à eux d’en extraire tout le potentiel. La modélisation et la simulation sont des pratiques essentielles pour obtenir un réglage optimal, l’équilibrage affectant à son tour la gestion de l’énergie. FormulePassion a rencontré le CTO de DS Penske, Nicolas Mauduit, pour approfondir les responsabilités des équipes dans la maximisation du groupe motopropulseur.
Collecte de données et modèles
La recherche de la configuration optimale part des simulations réalisées en usine, elles-mêmes basées sur la construction de modèles virtuels capables de reproduire le comportement de la voiture sur la piste, en prédisant sa réponse aux variations de configuration. Plus le modèle est précis, plus la simulation est représentative, plus les ingénieurs peuvent s’y fier pour valider les réglages de course. Malheureusement, la modélisation est l’une des pratiques les plus complexes en ingénierie, mais heureusement pour l’équipe Penske, DS vient à la rescousse avec des données précieuses : « En début de saison, DS Performance, qui est notre ingénieur, nous donne beaucoup d’informations sur le groupe motopropulseur », explique Mauduit. « Les données qui nous manquent en début d’année concernent plutôt le modèle de pneu, qui ont changé cette saison et sont fournis par Hankook. Par conséquent, il y a beaucoup de travail à faire pour créer un modèle de pneus. Un autre élément à modéliser est le générateur avant, qui est fourni par la FIA.
Le fournisseur de pneumatiques fournit aux équipes quelques données pour modéliser les pneumatiques, mais le modèle virtuel est continuellement affiné lors de la construction à la recherche d’une meilleure représentativité : « Hankook nous a donné des informations au départ, qui sont disponibles pour toutes les équipes. Mais nous voulons tous trouver un avantage concurrentiel sur la concurrence et chaque fois que nous faisons le tour de la piste lors d’essais privés nous essayons de développer un modèle de caoutchouc plus précis”. Le championnat IndyCar en est le meilleur exemple puisque les voitures sont à 95% les mêmes pour toutes les équipes, construisant ainsi l’avantage concurrentiel sur les réglages dont l’efficacité dépend de la représentativité des modèles virtuels. En Formule E, les caractéristiques des différents groupes motopropulseurs influencent l’ordre hiérarchique sur la piste, mais les simulations d’usine n’en sont pas moins pertinentes pour cela.
Simulations avant, pendant et après
Une fois le modèle virtuel créé, il est temps de l’utiliser pour les simulations : « A Versailles, nous avons notre propre pilote pour le simulateur. Nous testons généralement environ une semaine avant chaque événement, avec différents coureurs. Nous essayons de corréler les données avec la course précédente puis préparer le suivant ». A la fin de chaque E-Prix, l’équipe relance les simulations sur la même piste qu’elle vient d’aborder pour corréler les données recueillies sur la piste avec les prévisions initiales. En fait, la corrélation est l’aspect fondamental qui permet de perfectionner les modèles virtuels.
Les tests sur simulateur ont lieu la semaine avant et après l’E-Prix, mais peuvent également avoir lieu pendant le week-end de course. À l’exception de Monaco, tous les événements de Formule E en 2023 ont eu les premières séances d’essais libres le vendredi après-midi, donnant aux équipes une nuit complète pour corréler les données et affiner la configuration : « Normalement, nous avons la nuit de vendredi à samedi pour continuer les simulations. Pour Monaco en revanche, ce n’était pas possible, mais c’est un autre challenge. » explique Mauduit.
La préparation ne concerne pas seulement les réglages, mais aussi le style de pilotage : « Tout est important. Le conducteur est un facteur clé de l’efficacité de la voiture, en termes de conduite et de réaction face à la voiture ». Par exemple, Stoffel Vandoorne a rejoint l’équipe DS-Penske à la veille de 2023. Le Belge n’est pas seulement une acquisition importante d’un point de vue sportif, étant le champion du monde en titre, mais aussi technique, apportant l’expérience de l’équipe en tant que dot qui a dominé les deux dernières saisons : « Chaque pilote apporte avec lui son expérience personnelle, issue de ses expériences passées avec d’autres équipes. Cependant, chaque équipe travaille différemment, donc à chaque fois le pilote et l’équipe doivent s’adapter l’un à l’autre. Stoffel nous apporte un retour d’expérience dont nous essayons de tirer le meilleur parti ».
Développement de logiciels
Parallèlement à la construction de modèles et aux simulations virtuelles, un autre aspect qui enrichit le défi technique en Formule E est le développement de logiciels, comparable en pertinence aux mises à jour aérodynamiques en Formule 1. Mauduit tente d’expliquer plus en détail les domaines de performance concernés par ce travail : « Un autre aspect est le développement de logiciels, par exemple pour mieux régénérer l’énergie en course lors du freinage. Le logiciel est important pour gérer le point auquel le pilote doit lever l’accélérateur puis freiner pour se régénérer, afin d’améliorer la récupération d’énergie des deux essieux. Pendant la saison, vous ne pouvez pas développer le matériel, mais vous pouvez améliorer la régénération au freinage et un peu de traction aussi. C’est une sorte d’assistance au pilote dans ces phases. Ensuite, bien sûr, il y a la gestion de l’énergie ».
La délivrance de la puissance du moteur est assez restreinte en Formule E. En effet, le règlement interdit l’utilisation des systèmes antipatinage, alors que la cartographie couple-puissance-position de l’accélérateur est homologuée pour toute la saison. Il reste cependant de petites marges d’intervention pour affiner la douceur et la modulation de la puissance de traction. La combinaison DS-Maserati est un exemple éloquent du poids couvert par le logiciel. En fait, les deux monoplaces, tout en montant le même groupe motopropulseur, se comportent comme des voitures profondément différentes dans la mesure où chaque équipe développe son propre logiciel séparément. Le challenge interne au sein du groupe Stellantis illustre également l’importance de travailler sur les set-up : contrairement à d’autres équipes, les deux marques n’échangent pas de données ou ne collaborent pas pour étudier le set-up. « DS et Maserati ont chacune leur propre voiture indépendamment. Nous sommes rivaux sur la piste et nous voulons être en avance les uns sur les autres. » conclut Mauduit.