La solitude de la ligne droite des Hunaudières, la violence des freinages à Mulsanne, les poussées latérales aux virages Porsche slaloment parmi les rodés, pour replonger ensuite dans la mer de rodeurs de la ligne droite de départ. Il y a mille charmes de la race la plus convoitée d’Europe, qui célèbre le jalon historique de cent ans qui n’a jamais été pris pour acquis. Le Mans a radicalement changé au cours de son siècle d’existence, passant d’une épreuve d’endurance et d’un défi de survie à une course de sprint de 24 heures. Tant d’histoires à suivre: Toyota qui veut la victoire au Centenaire pour faire taire ceux qui minimisent ses récents succès ; Ferrari retrouve la classe reine cinquante ans plus tard ; Porsche qui reprend sa longue histoire d’amour avec Le Mans, interrompue avec la 919 Hybrid ; Cadillac portant le nom de Dallara se battant pour la victoire au général ; Peugeot, souffrant avec l’iconique 9X8 sans ailes à la poursuite de la rédemption devant le public local. Les trois victoires à Sebring, Portimao et Spa rappellent que les champions du monde restent l’équipe à battre, mais dans le mois qui s’est écoulé depuis les 6 Heures de Belgique, beaucoup de choses auraient pu changer.
La piste
13629 mètres reliés par 33 courbes, dont 13 à gauche et 20 à droite. Peu de choses ont changé dans le circuit de la Sarthe en cent ans de course. Parmi les modifications, les chicanes ajoutées sur les interminables Hunaudières ressortent bien, mais elles n’ont pas dénaturé son ADN. Il est de coutume de dire que Monza est le temple de la vitesse, mais même l’hippodrome de la Brianza ne peut pas se comparer à celui de la France en termes de vitesse. Lors de l’édition 2022, le tour horaire moyen en qualifications était de 240 km/h, soit près de 22 km/h de plus que la pole position des 6 Heures de Monza, avec l’impression que les Hypercars 2023 pourraient prendre plus de secondes au chrono.
Pleins feux donc sur les épreuves du bout de la ligne droite, avec la plus longue ligne droite qui s’étend sur un bon 1609 mètres. Toute la gamme Hypercar montera rapports de démultiplication plus longs, que Ferrari a déjà anticipé lors des six dernières heures de Spa.Conformément à la réglementation, toutes les voitures sont homologuées pour respecter une résistance aérodynamique limite, mais cela ne signifie pas que les différentes qualités des projets individuels n’émergeront pas. Si la résistance minimale est la même pour tout le monde, la capacité à en rester le plus près et le plus longtemps possible ne l’est pas, un résultat qui dépend de la voiture, de la hauteur du sol et du set-up. Malheur à négliger les stratégies d’économie de carburant et d’alimentation électrique pendant le tour, autre facteur qui déterminera qui sera couronnée reine des Hunaudières. Dans tous les cas, avoir une voiture compétitive ne suffira pas à gagner, il faudra aussi un entretien rapide et une fiabilité éprouvée, une problématique aujourd’hui principalement liée à l’électronique ultra-complexe. Enfin et surtout, la capacité de la voiture à ne pas perdre l’équilibre et la compétitivité dans le passage du jour à la nuit, ainsi qu’avec le gommage progressif de la piste.
Le Centenaire
Le thème central de la veille est la décision de la FIA et de l’ACO de consentir à la réintroduction des réchauffeurs pour préchauffer les pneus dans les stands. Les accidents et les difficultés des six heures de Spa étaient au rendez-vous et si l’interdiction n’avait pas été levée pour Le Mans, les basses températures des spéciales de nuit auraient créé des problèmes de sécurité. Ferrari s’en réjouit car dans les Ardennes c’est la voiture qui a le plus peiné à faire monter les pneus en température. De plus, comme en Belgique, Michelin apportera les trois composés disponibles, élargissant ainsi l’éventail des stratégies possibles.
Toyota reste le grand favori, mais en plus de la compétitivité croissante des adversaires, il devra se soucier de deux autres aspects. Le premier est la compétition interne entre les voitures n°7 et n°8, très proches au classement mondial et toutes deux potentiellement candidates au titre. Le second est la gestion de la pression externe, qui n’était pas particulièrement élevée dans les années où Toyota courait contre des équipes alpines et privées. Ferrari De son côté, elle rêve de grand coup, consciente qu’elle a montré un rythme respectable à Spa et qu’elle a encore progressé le mois dernier. Il sera également intéressant de découvrir dans quelle mesure la super vitesse en ligne droite observée en Belgique était due à l’aérodynamisme du 499P et dans quelle mesure à la décision d’anticiper l’utilisation de rapports de démultiplication plus longs.
En Belgique et au Portugal Peugeot il a filmé avec une relative continuité, à l’exception de quelques désagréments techniques qui ne sont plus liés à la transmission. Avant Le Mans, le lion a effectué de nouvelles séances d’essais, axées cette fois sur les performances, qui continuent de faire défaut à la 9X8. Enfin, entre le duo LMDh, Cadillac elle est apparue toute la saison légèrement en avance sur Porsche, un constat qui ressort également des résultats en IMSA, mais les Allemands ont de leur côté une connaissance approfondie du Mans. Beaucoup dépendra aussi des évolutions de la Balance des Performances pour équilibrer les plateformes Hypercar et LMDh, qui pourraient rebattre les valeurs dans le domaine, même si théoriquement elles ne devraient pas modifier les hiérarchies entre les deux constructeurs.
Les autres cours
Encore une fois la classe LMP2 c’est le plus riche et le plus équilibré. United Autosport et WRT restent les observateurs spéciaux, mais Prema ne doit pas non plus être sous-estimé, à la défense des couleurs italiennes avec AF Corse. Au Mans, il faudra aussi faire attention à la sous-catégorie Lmp2 Pro/Am qui compte neuf engagés. Les écarts importants sous le drapeau à damier dans une catégorie qui voit s’affronter des voitures identiques rappellent à quel point la préparation et les réglages sont cruciaux, mais aussi un avertissement de ne pas interpréter les résultats de la catégorie Hypercar uniquement à la lumière du BoP.
Dans l’ambiance générale de fête du Centenaire, il y aura un voile de nostalgie pour les dernières 24 heures du Mans de la catégorie GTE, qui était encore il y a quelques années le fleuron du marathon français. Corvettes, Aston Martins, Porsche et Ferrari livreront une dernière valse, qui, il y a des raisons de croire, sera à la hauteur des nombreuses qui l’ont précédée.